Vera Kalko – Université Toulouse Il Jean Jaurès, France
Abstract
Le contexte de mondialisation, du fait des flux migratoires, constitue un terrain privilégié pour l’émergence des particularismes sociaux et culturels. Et c’est la notion d’identité qui vient alors appuyer la revendication de ces différences dans une société où il faut chercher à élaborer un cadre d’interactions équilibrées et de réciprocité acceptable.La compréhension de ce qui se joue en migration et des remaniements identitaires consécutifs à l’adaptation sur un nouveau sol est un enjeu important dans plusieurs disciplines (études culturelles, études historiques, psychologie interculturelle, sciences de l’éducation, sciences de communication…).« L’identité n’est pas aussi simple et transparente que nous le pensons. Peut-être devrions-nous d’ailleurs, au lieu de la concevoir comme un élément déjà pleinement constitué que les nouvelles pratiques culturelles ne feraient que représenter, considérer l’identité comme une “production” toujours en cours, jamais achevée, et qui se constitue à l’intérieur et non à l’extérieur de la représentation » (Hall, 2017).S’appuyant sur une approche dynamique ainsi qu’une approche anthropologique de la culture, nous essayons de comprendre les dynamiques de construction identitaire au sein du contexte hybride – à travers des études de la migration biélorusse et sa diaspora installée en France depuis la première moitié du vingtième siècle. Notre réflexion est basée sur l’idée que l’identité est fondamentalement relationnelle et se développe en une longue suite d’interactions entre la personne et le contexte.Au contact de la société de leur pays d’accueil, les membres de la diaspora biélorusse sont confrontés à des nombreux défis existentiels et ontologiques, étant donné que les marges de manouevre de différents agents sociaux ne sont pas les mêmes. Le rôle des institutions publiques (par exemple, l’École) dans le processus de construction et reconfiguration identitaire des biélorusses s’avère d’être fondamental. D’autres microstructures et dispositifs opèrent en tant qu’ « instances de délimitation » (Foucault, 1969) : la famille, le voisinage, les liens d’amitié, mais également les matrices organisationnelles d’une société donnée (lois, normes, etc.), les partis politiques, les associations, la littérature populaire, la presse ou encore, l’Église.D’autant plus que la question identitaire s’avère particulièrement complexe pour le peuple biélorussien, Bélarus étant un pays sans identité claire, placé tout au long des siècles entre diverses sphères d’influence politique antagonistes. Cette géographie bipolaire, combinée à une bipolarité religieuse, a empéché la stabilisation des frontières et la formation d’un Etat rassemblant les populations biélorussiennes, gênant par conséquent l’émergence d’une identité nationale autochtone. L’immigration biélorusse qui commence bien avant le vingtième siècle et prend son veritable essor après 1917, n’aboutie pas d’emblée à l’établissement de diaspora compte tenu du processus inachevé de constitution en nation du peuple biélorussien.Il a fallu attendre plusieurs années afin que les biélorusses en France se revendiquent d’un groupe possédant des attributs (particulièrement culturels) communs, qui leur permettent alors de s’identifier à la communauté qu’ils finissent par former. Ils construisent leurs propres réseaux communautaires et font de la langue et de la culture les meilleurs vecteurs associatifs.La réflexion sur la dynamique de construction identitaire au sein de la communauté biélorusse est donc menée ici à l’échelle micro- sociale, à partir de l’étude de ses interactions avec des compatriotes, avec le pays d’origine ainsi qu’avec la population indigène tout au long du XX – début XXI siècles.La démarche privilégiée est celle du « constructivisme », qui consiste à étudier la manière dont se construit (ou peut être « déconstruit ») une représentation à l’échelle d’une collectivité. Il convient de s’interroger également sur le rôle des stéréotypes car l’activation de l’identité culturelle, souvent inconsciente à l’arrivée, est une attitude réactionnelle face aux stéréotypes véhiculés dans la société d’accueil.Cette réflexion nous permet de suivre les évolutions identitaires des biélorusses en France dans un régistre synchronique aussi bien que diachronique.
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