Cette question est sans doute la plus fréquente que nous recevons au moment des candidatures à nos formations et, si l’on en croit les promotions actuelles du Master T2M, l’une de celles qui marque le plus les esprits des candidates et candidats. En tant que responsable de formation chargé de recruter des personnes à même de comprendre que la traduction en tant que profession n’a finalement que peu de rapport avec les exercices contrastifs de vocabulaire et de grammaire communément appelés « thème » et « version », on peut avoir envie de dire que c’est voulu : à vous de juger comment répondre en faisant preuve d’une certaine autonomie intellectuelle.
Mais ce point de vue serait injuste à l’égard des candidates et candidats qui ont déjà franchi un premier pas dont on peut ne pas avoir l’habitude si on a effectué ses études en France : celui d’oser poser des questions, compétence pourtant essentielle à tout un tas de choses dans la vie, étudiante, professionnelle ou autre. C’est un peu pourquoi on essaie ici d’apporter quelques explications, en consultation avec les promotions de Master actuelles.
Pourquoi ce truc ? J’ai déjà trop de travail à faire…
Tout d’abord, un peu de contexte : le document qu’on vous demande de préparer est destiné à montrer que vous avez au moins un début de projet concret en rapport avec le champ de la traduction multimédia au sens large, que vous avez pris le temps de vous documenter un minimum sur les secteurs qui vous intéressent, et que vous êtes capable de réfléchir et de vous projeter dans l’avenir. Vous lancer dans ce secteur sans réflexion risque aussi de vous faire perdre du temps, finalement…
Ce que vous allez écrire est à prendre comme un point de départ : « de mon point de vue actuel en fin de cycle Licence, je me vois potentiellement dans X métier pour Y raisons, et imagine qu’il me faudra Z étapes pour y arriver. Ce qui m’intéresse dans la formation, c’est me former aux compétences A tout en participant aux spécificités B ». Rien ne vous engage à rester exactement dans cette voie – participer à une formation de niveau Master, c’est aussi venir découvrir de nouveaux univers tant professionnels qu’intellectuels dont on ne soupçonnait pas l’existence – mais il est tout de même important d’avoir quelques idées et un minimum de curiosité.
Qu’est-ce qu’il faut éviter ?
Des projets qui reviennent à dire simplement « j’ai toujours aimé les langues, donc je voudrais devenir traducteur·trice » sont déconseillés. Cet amour pour les langues (étrangères ? sa langue A ou maternelle ? des langues de spécialité ?) est une condition certes nécessaire mais nullement suffisante pour envisager une carrière dans le domaine. « J’ai fait LEA mais je me sens trop timide pour travailler dans le commerce international ou le marketing », attention : se tourner vers la traduction faute de mieux n’est pas très encourageant, et on risque assez fortement, en tant que traducteur·trice indépendant·e, de se retrouver à faire la promotion de ses services en permanence. « J’adore les séries/les jeux vidéo et je veux travailler avec cela, rien que cela, de préférence sans quitter ma chambre », bienvenue à la vie adulte : certes, ces débouchés existent, mais ce n’est pas en ne voulant faire rien d’autre qu’on risque d’y arriver.
Ces points de vue sont bien entendu des caricatures, mais des caricatures qu’on a le malheur de voir année après année. Si vous avez l’impression d’avoir besoin de plus de temps pour mûrir vos projets rien ne vous empêche d’aller le prendre, pour découvrir un peu le monde et revenir nous voir dans un an ou deux. Contrairement aux idées reçues, le fait d’avoir effectué une pause dans ses études et d’avoir un peu d’expérience autre que son diplôme de Licence est généralement un point très positif.
Qu’est-ce qu’il faut faire, alors ?
En gros, essayer de vous projeter aussi concrètement que possible dans un ou des métiers/secteurs en rapport avec la traduction multimédia, en montrant que vous avez un peu réfléchi (pourquoi ce secteur en particulier ? quels autres secteurs pourraient vous intéresser ?) et que vous avez commencé à vous documenter (quels sont les métiers et les principaux acteurs, comment évolue le secteur, et quels sont les sujets qui font débat ? dans quel type d’entreprise envisageriez-vous de chercher un premier stage ?).
Si vous cherchez des informations, notre page https://blog.u-bourgogne.fr/mastert2m/actualites/ propose un certain nombre de liens utiles. Vous pouvez aussi vous référer à des ressources telles que le European Language Industry Survey (https://elis-survey.org/) qui publie chaque année des informations assez détaillées sur le secteur, librement accessibles à condition de créer un compte utilisateur gratuit. Par-delà ces ressources, n’hésitez pas à suivre les comptes de personnes qui travaillent dans le domaine sur les réseaux sociaux, à lire les publications scientifiques sur les questions qui vous intéressent (par exemple : https://www.jostrans.org/, https://www.jatjournal.org/index.php/jat, https://www.trans-kom.eu/), ou des revues comme Traduire (https://journals.openedition.org/traduire/), publiée par la SFT et destinée aux personnes en activité dans le secteur. La France ayant un certain retard dans plusieurs domaines concernés par la formation, n’hésitez pas à chercher des informations dans les différentes langues que vous lisez, et à citer les travaux qui ont attiré votre attention dans le texte du projet professionnel. Bien sûr, certains travaux sont plus faciles à comprendre que d’autres lorsque vous arrivez en fin de cycle Licence, mais sachez que vous avez tout à fait le droit, et un petit peu l’obligation, de vos documenter concernent le secteur si vous souhaitez que votre candidature fasse bonne impression.
Comment faut-il rédiger le document ?
Il n’y a pas de trame spécifique à suivre et nous n’attendons surtout pas un commentaire composé à la française en trois parties avec trois sous-parties. Soyez vous-même et rappelez-vous que l’idée est de présenter l’état de votre réflexion sur le secteur et sur la place que vous pourriez y occuper.
N’oubliez toutefois pas qu’on vous demande de situer votre projet professionnel et plus généralement votre candidature par rapport au cadre de compétences EMT2022, disponible sur le site de la Commission européenne. Ce document définit cinq « macro » compétences, qui sont jugées comme essentielles pour exercer en tant que traducteur·trice et qui sont fortement imbriquées : certaines de ces compétences risquent de vous être plus familières que d’autres, mais l’idée est de se servir du document pour dresser un bilan de ce qu’on sait déjà faire et ce qu’on pense avoir besoin d’apprendre pour réaliser son projet. Ces cinq compétences se déclinent à l’intérieur du document en une liste plus descriptive de « micro » compétences qu’on vous conseille de lire attentivement. Il y a plusieurs façons possibles de vous emparer de ce cadre de compétences pour rédiger votre projet professionnel : vous pourriez tout à fait prendre les cinq compétences dans l’ordre, pour y situer vos acquis actuels et ce que vous pensez que nos formations pourront vous apporter, mais aussi suivre une autre organisation qui vous paraîtrait plus adaptée.
Pourquoi le cadre EMT ?
Réponse facile : la formation T2M (et, nous espérons, bientôt la formation TA2M) détient le label EMT, en est un peu fière et veut bien le maintenir.
Réponse plus réfléchie : le cadre de compétences a été développé par la Commission européenne avec l’aide des Universités mais aussi et surtout des acteurs des industries de la langue, c’est-à-dire vos futurs employeurs. Même dans des secteurs qui peuvent paraître éloignés du cadre (le doublage audiovisuel, mettons), son influence commence à se faire sentir… et même le marché de la traduction audiovisuelle se tourne de plus en plus vers les produits « pragmatiques » ou « spécialisés » qui représentent plus de 90% du chiffre d’affaires du marché des services linguistiques en Europe.
Sur le plan pratico-pratique : le cadre EMT a également servi à structurer les maquettes des formations T2M et TA2M qui entrent en vigueur en 2024. Certaines UE reprennent directement les intitulés et les micro-compétences EMT tandis que d’autres se focalisent sur des points qui représentent la spécificité de nos formations, dans des domaines comme la localisation, la traduction audiovisuelle, l’accessibilité audiovisuelle et numérique, les langues simplifiées et la recherche située. Situer votre candidature par rapport à ce cadre vous permet donc de réfléchir directement à votre future intégration à la formation.
Et l’accessibilité ?
S’il existe un cadre ce compétences bien développé pour les métiers de la traduction, ce n’est pas encore le cas pour l’accessibilité, en dépit d’un certain nombre d’efforts dans un certain nombre de domaines. Le nouveau parcours TA2M propose une formation intégrée – unique en France, et parmi de rares formations du même type en Europe – aux langues simplifiées, à l’accessibilité audiovisuelle et à l’accessibilité numérique, là où ces différentes branches fonctionnent encore sans vraie coordination entre elles. Parmi d’autres développements, la loi européenne sur l’accessibilité de 2019 commence à faire évoluer les pratiques et les futur·e·s diplômé·e·s de la formation auront sans doute l’occasion de participer à la construction du champ. Les membres de la formation T2M continueront à travailler sur l’accessibilité en marge des autres enseignements, comme c’est déjà le cas aujourd’hui. La plate-forme MonMaster donne la possibilité de candidater aux deux parcours en même temps : il faudra à un moment faire un choix, mais les deux parcours restent assez ouverts l’un sur l’autre.
Pour ce qui concerne le projet professionnel, nous vous conseillons de jeter un œil sur le billet de blog https://blog.u-bourgogne.fr/mastert2m/2024/02/21/candidatures-master-ta2m-ou-se-documenter-concernant-laccessibilite/, en situant votre candidature à la fois par rapport aux compétences EMT et par rapport aux principaux enjeux que vous observez.
Est-ce que le projet professionnel est noté ? Est-ce qu’il y a un barème ?
Non. L’idée est d’être vous-même, en présentant de manière aussi cohérente et réfléchie que possible votre projet et les moyens que vous pensez mettre en œuvre pour l’atteindre. Comme ce document reflète aussi votre professionnalisme, nous attendons qu’il soit bien rédigé et bien présenté, dans un style approprié et (cela va sans dire, nous espérons) sans fautes de langue, que toutes les sources utilisées soient référencées, et qu’il soit rédigé par vous. (Croyez-nous, un document de ce type rédigé par ChatGPT est très reconnaissable et tout sauf convaincant, surtout au moment où l’on vous demandera de développer vos idées à l’oral.) Par « en trois pages », on attend un volume de texte à peu près égal à ce billet. On vous recommande d’utiliser la feuille de style intégré à votre logiciel de traitement de texte : vous pouvez utiliser des sous-titres pour structurer vos idées et pouvez tout à fait ajouter des liens, mais n’avez pas besoin de proposer une mise en page compliquée.
Un dernier conseil ?
Laissez-vous le temps de réfléchir à votre projet professionnel : de prendre quelques notes, de réfléchir un peu avant de rédiger, puis de vous relire. Il faudra en effet trouver ce temps, mais si vous êtes pris·e pour la formation, vous allez découvrir que la gestion du temps est une compétence particulièrement importante et un des grands marqueurs de la transition entre les cycles Licence et Master.